A Decize, dans la Nièvre, la salle des fêtes a plutôt l’habitude d’accueillir des thés dansants le mardi après-midi. Mais ce mardi 19 novembre, elle a été transformée le temps d’une journée en hôpital de campagne. Une trentaine de médecins étrangers, diplômés hors de l’union européenne, avaient pris place dans les différentes salles d’examens. Objectif : apporter une réponse sanitaire aux habitants de la Nièvre tout en dénonçant leurs conditions de travail précaires. L’occasion aussi pour Justine Guyot, maire de la commune, et Marie-Guite Dufay, la Présidente de Région, de tirer la sonnette d'alarme sur la désertification médicale dans la Nièvre.
Ibtissam Menallah est chirurgienne-dentiste. Née et diplômée en Algérie, elle est ce qu’on appelle une « Padhue » : une praticienne à diplôme hors Union européenne. Après plusieurs années d’expérience en Algérie, elle exerce depuis quatre ans en France à l’hôpital de Creil. Pourtant, comme de nombreux Padhue, elle ne gagne guère plus que ces derniers, avec un salaire de 1 500 euros net par mois. Loin des 4 000 euros des praticiens hospitaliers français qui sont en début de carrière.
En France, pour permettre à Ibtissam et aux autres Padhue d’être considérés comme des médecins français, il faut qu’ils passent une équivalence des diplômes nommée EVC. En théorie simple épreuve de vérification des connaissances, l’examen est un concours qui ne dit pas son nom : « Je l’ai passé il y a deux ans. Mais sur 1.500 candidats, il n’y avait que 5 postes » nous indique-t-elle.
Karim Bendamerdji est dans le même cas. Médecin urgentiste en Algérie depuis 28 ans, il débarque en France le 6 mars 2020 pour fêter l’anniversaire de sa fille, en étude d’optique. Deux jours plus tard, la crise du COVID éclate. Il ne peut plus rentrer chez lui. Dépassé, un hôpital de Marseille fait appel à ses services. Il enchaîne les petits contrats : médecine interne, psychiatrie, oncologie, maladies infectieuses, médecine pénitentiaire aux Beaumettes ; il officie actuellement en chirurgie cardiaque. Comme Ibitssam, sa situation reste néanmoins précaire : « Je gagne 1 550 € par mois. J’envoie 1 000 € à ma fille qui fait ses études à Barcelone ; il me reste 500 € pour vivre. Je mange gratuitement à l’hôpital. Je paye 460 € de loyer. Mais je ne me plains pas trop. Je m’accroche, je suis un téméraire. Je vis une expérience » témoigne humblement le quinquagénaire, qui arbore fièrement une médaille honorifique sur le poitrail indiquant « A rendu un service exceptionnel à la France ».
Des histoires comme celles-ci, ils seraient entre 3.000 et 4.000 à pouvoir en raconter en France. On estime que 25 % des médecins officiant dans les hôpitaux français sont des Padhue.
Ibtissam et Karim ont déserté leur hôpital de tutelle mardi 19 novembre 2024. Tout comme une trentaine d’autres Padhue. Tous ont répondu à l’appel de Justine Guyot, maire de Decize, une petite ville nivernaise de 5.000 habitants. L’édile avait décidé d’installer un « hôpital de campagne » éphémère dans sa salle des fêtes. Il y a quelques semaines, elle avait déjà fait parler d’elle en adoptant un arrêté municipal interdisant purement et simplement à ses administrés de tomber malade ! Une manière d’alerter l’opinion publique et les élus sur le désert médical dans lequel se trouve sa commune et son département. Interpellée par le docteur Abdelhalim Bensaidi, vice-président de l’association IPADECC qui défend les intérêts des Padhue, elle décide de monter cet hôpital, 100 % tenus par des Padhue. On y trouve des cardiologues, des psychiatres, des diabétologues, des oncologues, des médecins généralistes …
L’hôpital de campagne a fonctionné toute la journée. Aucune consultation n’a véritablement été opérée : le Conseil de l’ordre des médecins avait mis en garde les praticiens présents, non reconnus par l’Etat, sur les risques auxquels ils s’exposaient en cas d’exercice illégal de la médecine… Qu’importe, l’opération de communication de Justine Guyot et du docteur Abdelhalim Bensaidi a fonctionné. Ce dernier, qui a alerté le Président de la République il y a presque un an, espère que les choses vont enfin pouvoir bouger.
Dans l’après-midi, l’hôpital de campagne a reçu la visite d’une soixantaine de maires nivernais. Eux aussi ont pris un arrêté interdisant à leurs habitants de tomber malade. Comme Justine Guyot, ils sont convaincus que les Padhue peuvent être une solution à leur problème de désert médical. Marie-Guite Dufay aussi. La Présidente de Région a également fait le déplacement dans la Nièvre. Invitée à témoigner lors d’une table ronde, elle a clairement pris position en faveur des Padhue :
Marie-Guite Dufay, Présidente de la Région Bourgogne-Franche-ComtéJe suis venue pour entendre, comprendre. Je n’avais jamais entendu parler de ces « Padhue ». On manque de médecins partout, cruellement dans les territoires comme ici et j’apprends que l’on a une armée de personnes prêtes à intervenir. On marche sur la tête ! Ça frise même le scandale. Ils sont les oubliés de l’hôpital. En tant que présidente de la commission santé de Régions de France, j’ai des revendications à faire remonter à la ministre de la Santé. En tête à tête. Je peux vous dire que le sujet des Padhue va être ajouté à cette liste de revendications. Je m’offre comme un petit maillon dans ce combat.
Josette a 80 ans. Guy en a 85. Tous deux habitent de Decize. Ils sont venus sans rendez-vous pour voir s’ils pouvaient consulter un dermato. Josette en est ressortie rassurée : « Cela s’est bien passé. On a bien discuté. Il m’a donné de bons tuyaux. » Les octogénaires reconnaissent être inquiets pour leur santé : « On a notre médecin traitant. Mais pour tout ce qui est spécialiste … il faut aller à Moulins, à Nevers … Dans tous les domaines, il y a un manque. On est vraiment démuni sur tout ce qui est médical » regrette-t-ils. Alors eux aussi appellent de leur vœux la régularisation des Padhue : « Nous ne sommes pas contre l’appel aux médecins étrangers ; ils ont déjà fait leurs preuves. On en a besoin ; S’ils ont les compétences, ils sont les bienvenues. Au contraire ! » crient-il en cœur.
L’appel est lancé.
Une journée pour réenchanter les métiers de la santé
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